"Une partie de l’histoire industrielle et technique de la Suisse"

En 2019, la centrale nucléaire de Beznau fête 50 ans d’exploitation. Qu’est-ce que cela signifie pour vous personnellement?
Je suis reconnaissant envers nos prédécesseurs à la centrale de Beznau, mais aussi envers les responsables d’Axpo. Ils ont su, par le passé, prendre les bonnes décisions pour l’évolution de la centrale, permettant encore aujourd’hui son exploitation rentable et sûre. Au fil des décennies, nos collaborateurs n’ont pas ménagé leurs efforts, faisant constamment preuve d’un haut niveau de professionnalisme et d’un engagement supérieur à la moyenne. La mise en service, il y a 50 ans, n’a pas seulement garanti un demi-siècle de production sans émission de CO2 d’électricité respectueuse du climat, mais aussi écrit une partie de l’histoire industrielle et technique de la Suisse. Cela me remplit de fierté.

Qu’est-ce qui a changé depuis la mise en service?
Beaucoup de choses! Depuis la mise en service, nous avons développé et amélioré la sécurité et la fiabilité de l’installation grâce à une maintenance permanente, à des rééquipements de vaste ampleur et à des modernisations. Il y a eu au cours des dernières décennies énormément de progrès technologiques. Sans tous les rééquipements et investissements dans le remplacement de certains composants, nous aurions aujourd’hui du mal à exploiter les deux blocs.

Actuellement, c’est la troisième génération de collaborateurs qui est à l’œuvre. La centrale n’est pas la seule à avoir évolué au fil des ans, c’est aussi le cas des relations qu’entretiennent entre eux ses employés. Nous sommes aujourd’hui plus conscients de l’importance du thème de la sécurité, sécurité que nous améliorons en permanence, surtout la sécurité au travail. Cependant, quelque chose n’a pas changé en cinquante ans: le lien fort de tous les collaborateurs avec la centrale et la conscience de faire partie d’une grande famille.

… et du point de vue sociétal?
Au cours des dernières décennies, nous avons aussi dû nous accommoder de multiples changements dans notre environnement de travail. L’énergie nucléaire est plus contestée que jamais et l’abandon de cette technologie a été décidé par les responsables politiques et la société. Médias et grand public observent notre branche de si près qu’ils font du moindre incident une montagne. Du point de vue entrepreneurial, l’énergie nucléaire ne fait pas actuellement partie de la stratégie du futur. Nous accordons cependant beaucoup d’importance à l’exploitation sûre de nos centrales sur le long terme. Pour cela, nous investissons des moyens financiers considérables. Jusqu’à présent, nous nous sommes principalement concentrés sur l’exploitation des installations. En prévision de la future mise hors service, nous réfléchissons toutefois dès aujourd’hui à la démolition de la centrale.

Quel effet cela fait‑il de travailler aujourd’hui dans l’une des plus anciennes centrales nucléaires du monde encore en service?
Travailler à la centrale de Beznau est formidable. Nous allons fêter, bien entendu, les 50 ans d’existence de l’installation. Mais si nous ne pouvons le faire, c’est grâce aux efforts constants de modernisation déployés au cours des précédentes décennies et à la mise à niveau de la technique de rééquipement. Naturellement, il existe encore certains composants qui datent de l’époque de la mise en service. Cependant, il y a peu de systèmes qui n’ont pas été remplacés, complétés, remis à neuf ou – à partir du design originel de l’installation – modifiés pour augmenter la sécurité. Nous sommes certes l’une des plus anciennes centrales en service du monde, mais cela nous confère une grande expérience en matière d’exploitation. Cela influe aussi positivement sur la sécurité de l’installation. Nous préférons donc parler de l’une des centrales les plus expérimentées du monde. Nous connaissons l’installation et son comportement jusque dans les moindres détails et pouvons ainsi la gérer au mieux. Chaque année d’exploitation ajoute du savoir‑faire. Cela se traduit en définitive dans le fort taux de disponibilité de l’installation. Sa fiabilité est remarquable, comparée à celle de ses homologues internationales.

Comment vivez-vous cet anniversaire? Quel est l’écho dans votre cercle de connaissances et dans la région?
Les retours que j’ai eus sont absolument tous positifs. La population est intéressée. Nous n’avons jamais organisé autant de visites guidées qu’au cours des semaines et des mois précédents, même pour des journalistes. Tout comme les places d’un concert des Rolling Stones, les visites guidées d’anniversaire étaient complètes en un rien de temps. Du coup, nous avons proposé des visites guidées supplémentaires qui sont également toutes complètes. La plupart des visiteurs sont impressionnés par l’état de la centrale. Leurs réactions sont très éloignées des commentaires dévalorisants des adversaires de l’énergie nucléaires. Cette année aussi, ces derniers ont mené de temps à autre des campagnes auxquelles nous réagissons avec le professionnalisme nécessaire.

Comment envisagez-vous l’avenir de l’installation?
Axpo prévoit d’exploiter les deux blocs de la centrale de Beznau tant que cela sera possible en termes de sécurité et de rentabilité. La poursuite de l’exploitation dépend, d’une part, des conditions techniques et aussi, d’autre part, des conditions fondamentales règlementaires et politiques, ainsi que de l’environnement du marché. Ce qui est sûr, c’est que nous ferons tout notre possible pour satisfaire les attentes mises dans la centrale en ce qui concerne sa sécurité et sa rentabilité. Ensuite, nous mettrons l’installation hors service et nous la démantèlerons avec le même soin et le même professionnalisme.

Quelles sont les tâches qui vous attendent personnellement?
Les tâches qui m’incombent en tant que responsable du service projets et que directeur adjoint de la centrale resteront les mêmes jusqu’au dernier jour. La réalisation de projets complexes et, de manière générale, ma contribution à l’exploitation sûre et fiable de l’installation en font partie. Le développement de la culture de sécurité est également primordial. Enfin, il ne faut pas oublier la maîtrise de tous les petits et gros défis, car aucune journée ne ressemble à la précédente. La conscience de l’importance de notre travail doit toujours être maintenue à son plus haut degré. Notre personnel travaille lui aussi de façon exemplaire dans cette perspective: il vit au quotidien l’esprit de Beznau, focalisé sur la sécurité!

Comment voyez-vous le rôle de l’énergie nucléaire dans la politique climatique et énergétique actuelle en Suisse?
Je pense que, compte tenu de sa production n’émettant pas de CO2, l’énergie nucléaire peut encore apporter une contribution importante à la protection du climat: l’énergie nucléaire est une partie de la solution et pas une partie du problème! La population suisse a certes voté la sortie de l’énergie nucléaire en mai 2017. Cependant, les centrales nucléaires helvétiques vont encore jouer un rôle important pour garantir la sécurité de l’approvisionnement du pays jusque vers le milieu du siècle. L’énergie nucléaire va donc remplir une fonction de pont importante au cours des prochaines décennies, jusqu’à ce que les énergies renouvelables soient suffisamment développées. Mais pour cette exploitation de longue durée prévisible, des conditions fondamentales réglementaires raisonnablement acceptables sont naturellement nécessaires.

Envisagez-vous un avenir pour l’énergie nucléaire, en Suisse et dans le monde entier?
Dans un avenir proche, l’énergie nucléaire devrait rencontrer des difficultés en Suisse, car il n’y a pas d’acceptation sociale et politique. Je pense également que la désindustrialisation et l’évolution de l’Europe vers une société de services feront de la poursuite de l’exploitation des installations existantes un défi toujours plus grand. Au niveau mondial, la situation est toutefois différente: l’énergie nucléaire est en partie développée et étendue avec de nouveaux concepts, notamment dans l’espace asiatique. Si jamais un nouveau réacteur doit voir le jour en Suisse, il ne proviendra certainement pas d’un équipementier européen ou américain.